... Voyage au centre de l’agrégat

  

DECEMBRE 2000 N° 25

Attention à la marche !

Par ses propriétés physiques uniques l'alumine est la céramique technique la plus répandue (isolants, robinets céramiques, pots catalytiques, …). Grâce aux nouvelles microscopies à champ proche, on peut explorer sa surface à l'échelle atomique.


Figure 1 : Surfaces d'Al2O3-a observées par AFM mode contact (1200 x 1200 nm²) après recuit (1 h) aux températures indiquées. On observe un premier état de facettage où les marches atomiques se regroupent (multiplicité n).

L'alumine est un matériau utilisé dans des domaines très diversifiés : support de catalyseur (pot catalytique de votre voiture), électronique durcie, électrotechnique (isolant haute tension), optique de puissance (lasers), … Dans la majorité des applications, l'état de la surface est essentiel. Paradoxalement, la surface de l'alumine est mal connue en raison du caractère isolant du matériau : les études par les techniques de surface usuelles (microscopie électronique par exemple) sont difficiles en raison des phénomènes de charge de surface. Ainsi, malgré des études par diffraction d'électrons lents, réalisées, entre autres au SPCSI, la morphologie des surfaces d'alumine à l'échelle du nanomètre restait encore ignorée.

L'apparition des sondes à champ proche et en particulier du microscope à force atomique (AFM) au début des années 90, a rendu possible l'observation directe de surfaces d'isolants à la résolution du nanomètre, voire de l'atome. Une équipe du SPCSI a réalisé ce type de microscope. Une de ses premières utilisations a été de caractériser des surfaces d'alumine et plus particulièrement d'observer la distribution de marches atomiques sur ces surfaces. En effet, les marches sont à priori les principaux défauts de ces surfaces. La difficulté est de maîtriser à la fois un instrument nouveau et les conditions de préparation du matériau afin d'observer de façon reproductible cette surface.


Figure 2 : a) 2.5 x 2.5 mm2 : deuxième état facetté (recuit > 1 h, 1500°C), b) 5 x 5 mm2 : recuit 4 h, coupe q = 1.2°, j = 4°, facette azimutale.

En coupant un monocristal d'alumine-a, avec un faible angle de désinclinaison (q < 5°) par rapport au plan perpendiculaire à son axe de symétrie principal (axe c), et après polissage mécano-chimique, on obtient une face vicinale (0001). Par AFM, on observe que celle-ci présente des marches régulières de hauteur h = c/6 = 0.22 nm, où c est la hauteur d'une maille élémentaire. La hauteur mesurée correspond à la distance entre plans successifs d'atome d'oxygène du cristal. Ces marches ont pu être mises en évidence grâce à la sensibilité optimale de l'AFM construit au SPCSI. La régularité du réseau de marche obtenu après un simple polissage est un premier résultat remarquable. A partir de cet état initial bien défini, il a été possible de suivre l'évolution en température de la morphologie de la surface. Les échantillons sont alors chauffés à l'air entre 1000 et 1500°C (fig. 1). 

Après un traitement thermique d'une heure au-delà de 1000°C, on observe que les marches s'apparient tout en gardant une distribution régulière. En augmentant la température, et ce jusqu'à 1500°C (1 h), le processus se poursuit : les marches se regroupent de façon à former des marches multiples de plus en plus hautes. L'angle moyen de coupe étant conservé, la largeur des terrasses croit proportionnellement. Le nombre n de marches regroupées est toujours pair et les marches gardent leur orientation moyenne initiale. 

Nous avons ensuite étudié la cinétique du phénomène. A partir de l'évolution de la largeur moyenne des terrasses, on accède à la quantité de matière déplacée et ainsi au coefficient de diffusion effectif. Un diagramme d'Arrhenius donne, pour la diffusion de surface, une énergie d'activation élevée de 2 eV (T < 1400°C). 


Figure 3 : Définition des angles de coupes

Après un recuit prolongé (1 à 8 h) à 1500°C, le phénomène de facettage se poursuit. Les marches multiples se rapprochent, mais ne coalescent plus. On obtient ainsi un deuxième état de facettage transitoire (fig. 2a). Enfin, dans l'état final observé, les marches finissent par coalescer et s'orientent de façon à s'aligner selon des directions cristallographiques denses (facettage azimutal, fig. 2b). On observe qu'il existe un seuil de hauteur (h = 2c ou 3c, soit n ~ 12-18) pour que ce phénomène se produise.

Une étude systématique en fonction de l'orientation de la coupe (q, j) (fig. 3) montre que le regroupement des marches dépend de l'angle de coupe q (et donc de la densité de marches), tandis que le facettage azimutal dépend de l'angle j (et donc de la densité d'atomes en bord de marche). En particulier, pour q < 0.5°, le deuxième état de facettage n'est pas observé. Pour j inférieur à 5° (resp. j > 5°), le facettage azimutal est uniforme (resp. structuré en domaines).

Les distributions de marches observées à la surface de l'alumine indiquent la présence de forces attractives à longue portée entre les marches atomiques, ainsi qu'une interaction répulsive à courte portée entre marches multiples. La situation est donc opposée à celle des métaux usuels, largement étudiés par microscopie à effet tunnel où les marches sont le plus souvent en interaction répulsive. Des études se poursuivent (à l'air et sous vide) pour tenter de déterminer l'origine des forces d'interaction entre marches dans les oxydes.

Le principe de l'AFM

Une pointe sonde est supportée par un micro-levier flexible. On distingue deux modes de fonctionnement : le mode contact où les images sont obtenues en déplaçant la pointe parallèlement à la surface, de façon à ce que la répulsion exercée par celle-ci reste constante au cours du balayage (image isoforce). Dans le mode non contact, le levier vibre à une fréquence proche de sa résonance. Les caractéristiques de l'oscillateur sont modifiées en présence de la surface. Les images sont obtenues en maintenant par exemple l'amplitude ou la fréquence de l'oscillation constante.


Pour en savoir plus :

L. Pham Van, O. Kurnosikov and J. Cousty, Surface Science 411 (1998) 263. Procedures in scanning probe microscopies R.J. Colton et al. Ed. Wiley and sons 1998 (New York).
M. Gautier, J. P. Duraud, L. Pham Van, Surface Science 249 (1991) L 327.

Contacts :

L. Pham Van, O. Kurnosikov et J. Cousty,

Le Comité de rédaction


Phases Magazine N° 26