... Phases Magazine N° 24
Comment se forme un film nanométrique d'oxyde ?

DECEMBRE 2000 N° 25

Voyage au centre de l’agrégat


Figure 1 : Principe de l'expérience. Sur la figure, le réactif N2O est déposé en (a) et la réaction a lieu dans la zone d'observation. Il peut aussi être déposé en (b) auquel cas la réaction a lieu lors du dépôt du baryum, en moyenne 80 ms avant l'observation.

Une équipe du Service des Photons, Atomes et Molécules (SPAM) utilise des agrégats libres de taille nanométrique pour étudier les processus de chimie hétérogène à l'échelle microscopique. Récemment, des mesures spectroscopiques ont mis en évidence la migration vers l'intérieur de l'agrégat d'un produit de réaction formé initialement en surface.

Les processus de chimie en phase hétérogène sont extrêmement nombreux dans la nature. En particulier, les réactions qui ont lieu à la surface d'aérosols ou de grains, ont une grande importance tant dans le milieu interstellaire que dans l'atmosphère. Le problème de la destruction de la couche d'ozone en zone antarctique en est un exemple fameux : les réactions se produisant à la surface des grains de glace qui constituent les nuages stratosphériques polaires affectent la chimie de l'azote et du chlore et favorisent la formation de radicaux destructeurs d'ozone. 


Figure 2 : Spectres de fluorescence du produit BaO issu de la réaction entre un atome de baryum et une molécule de protoxyde d'azote se produisant à la surface d'agrégats formés de plusieurs milliers d'atomes de néon. Le spectre du haut est observé immédiatement après la réaction ; celui du bas est enregistré environ 80 µs après la réaction.

De tels processus chimiques sur des particules condensées présentent une spécificité que notre équipe étudie dans des systèmes modèles où la réaction chimique est réalisée sur des agrégats de van der Waals. Cette recherche a pour but de comprendre, d'un point de vue fondamental, l'influence d'un milieu réactionnel de dimension nanométrique sur le déroulement d'une réaction chimique. 

Les agrégats sont des petits grains de matière condensée sur lesquels il est possible de déposer des réactifs et d'observer les réactions qui en découlent : ils constituent de véritables nanoréacteurs chimiques (fig. 1). Dans nos conditions expérimentales, ils sont constitués de quelques centaines à quelques milliers d'atomes et ont un diamètre de quelques nanomètres (5 nm pour un agrégat d'argon de 2000 atomes, 7 nm pour un agrégat de néon de 7000 atomes). La stabilité des agrégats leur impose une température interne relativement basse (35 K pour l'argon, 10 K pour le néon). Après leur capture par collision avec l'agrégat, les réactifs explorent sa surface par diffusion en quelques dizaines de nanosecondes, se rencontrent et éventuellement réagissent.

Un point important de la réactivité en phase hétérogène concerne le devenir des produits de la réaction. Nous avons choisi d'aborder ce problème en étudiant la formation de l'oxyde de baryum BaO par réaction entre le baryum et le protoxyde d'azote N2O. Cette réaction, exothermique par 4 eV, produit une partie des molécules BaO dans des états électroniques excités dont on détecte la fluorescence. De plus, le spectre de la molécule BaO possède des propriétés particulières permettant de distinguer facilement les produits libres des produits piégés sur l'agrégat. Enfin, la longue durée de vie de son état excité le plus bas permet d'observer le produit plusieurs dizaines de microsecondes après sa formation. Récemment, nous avons étudié cette réaction sur des agrégats de néon qui interagissent faiblement avec les produits pour obtenir une information détaillée sur l'évolution des molécules BaO piégées sur l'agrégat. 


Figure 2 : Spectres de fluorescence du produit BaO issu de la réaction entre un atome de baryum et une molécule de protoxyde d'azote se produisant à la surface d'agrégats formés de plusieurs milliers d'atomes de néon. Le spectre du haut est observé immédiatement après la réaction ; celui du bas est enregistré environ 80  µs après la réaction.

Nous avons observé la fluorescence du produit BaO à deux instants différents, soit dans la première microseconde suivant la réaction, soit 80 microsecondes plus tard : ceci est obtenu en déposant le second réactif dans la zone d'observation ou 3 cm avant celle-ci (fig. 1). Dans le second cas, le produit piégé, transporté par l'agrégat, continue d'interagir avec celui-ci durant son transport jusqu'à la zone d'observation. Le spectre de fluorescence de la molécule BaO à l'instant de sa formation sur les agrégats de néon est porté dans la partie haute de la figure 2. On peut distinguer deux contributions : l'une faiblement structurée (en vert) constitue l'essentiel de la fluorescence et provient de molécules éjectées au moment de la réaction avec une forte énergie interne ; la seconde (en rouge) est composée de pics assez fins et correspond à l'émission du produit BaO resté piégé sur l'agrégat. La faiblesse de l'interaction avec le néon se traduit par une forte probabilité d'éjection du produit. De plus, une analyse du spectre du produit piégé montre que sa vibration n'est que partiellement relaxée et qu'il est relativement peu perturbé par l'environnement de néon.

Le spectre de fluorescence de la molécule BaO observé 80 microsecondes après la réaction est tracé dans la partie basse de la figure 2, après normalisation à son maximum pour une meilleure comparaison avec le premier spectre. Il apparaît immédiatement que la contribution spectrale du produit BaO piégé (en bleu) a sensiblement évolué : elle présente une intensité relative plus grande et des pics beaucoup plus larges que dans le cas du produit naissant. Après analyse, on peut attribuer ce spectre à une molécule BaO complètement refroidie vibrationnellement et en interaction forte avec l'environnement de néon. 

L'interprétation de ces résultats est schématisée sur la figure 3, qui représente les différents états du produit BaO et leurs contributions spectrales respectives. L'évolution de la fluorescence du produit piégé sur l'agrégat, observée lorsque l'on retarde la fenêtre de détection, traduit une augmentation de la solvatation de ce produit. Plus généralement, ceci met en évidence la migration du produit de réaction initialement en surface vers l'intérieur de l'agrégat.


Pour en savoir plus :

[1] "Qu'est-ce qu'un complexe de van der Waals ?”
J.P. Visticot et J. Berlande, Clefs CEA, N°27, p. 22 (1993). 

[2] "Cluster Isolated Chemical Reactions"
J.M. Mestdagh, M.A. Gaveau, C. Gée, O. Sublemontier, and J.P. Visticot, Int. Rev. Phys. Chem., 16 (2), pp.215-247 (1997).

[3] "Cluster Isolated Chemical Reactions : Medium effects on reactivity",
M.A. Gaveau, C. Gée, J.M. Mestdagh et J.P. Visticot, Comments At. Mol. Phys., 34( 3-6), pp. 241-258 (1999).

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