... Les mousses, traceurs de métaux dans l’environnement

JUILLET 2000 N° 24

Comment se forme un film nanométrique d'oxyde ?

Une nouvelle phase d'oxyde de fer en couche mince a été découverte par une équipe du SRSIM.

Les têtes de lecture de nos disques durs sont actuellement formées de couches minces magnétiques métalliques présentant des propriétés de magnétorésistance géante [cf. Phases n°20]. Certains oxydes magnétiques comme les manganites, la magnétite ou le dioxyde de chrome, présentent la particularité d'avoir le spin des électrons de conduction complètement aligné avec le champ magnétique interne. Ce sont d'excellents candidats pour présenter des propriétés magnétorésistives géantes. La stabilité et la dureté de ces matériaux les rendent particulièrement intéressants pour les têtes de lecture des disques durs du futur. L'optimisation des performances de ces dispositifs passe par un bon contrôle de la pureté, de la composition et de la croissance des couches à l'échelle atomique.
Dans ce cadre, une équipe du SRSIM a choisi de faire croître une couche mince d'oxyde magnétique, atome par atome, sur une surface d'alumine parfaitement connue [cf. Phases n°17]. La méthode retenue est l'épitaxie par jets moléculaires (Molecular Beam Epitaxy, MBE). Elle consiste à déposer à la fois des atomes de métal et des atomes d'oxygène, très réactifs (voir encadré). On peut ainsi élaborer des nanostructures de bonne qualité cristallographique, de composition chimique contrôlée et de très faible épaisseur, variable d'une couche atomique à plusieurs dizaines de couches atomiques. Cette méthode permet d'obtenir des objets inaccessibles par d'autres voies de synthèse. En cours de dépôt, la diffraction d'électrons rapides en incidence rasante permet la mesure du paramètre de maille dans le plan de surface de chaque couche atomique déposée.

EPITAXIE par JET MOLECULAIRE

Le principe de l'Epitaxie par Jets Moléculaires consiste à évaporer les matériaux dans une chambre ou règne un vide de base de 5 10-11 mbar environ, ce qui évite toute pollution de la surface. Dans notre installation, les flux atomiques de fer et d'oxygène sont dirigés simultanément de façon symétrique vers le substrat, dont la température peut varier. Les atomes de fer sont émis par sublimation de fer solide placé dans un creuset. La stabilité thermique de la source d'évaporation permet d'atteindre des vitesses de dépôt aussi faibles que la monocouche par minute. Le dépôt d'oxydes pose des problèmes spécifiques : en effet, pour assurer la bonne stœchiométrie en oxygène, il s'avère nécessaire d'utiliser de l'oxygène atomique, oxydant plus puissant que l'oxygène moléculaire O2. Notre source a été développée en collaboration avec le Laboratoire des Gaz et des Plasmas d'Orsay. Elle est constituée d'un tube en quartz en forme de U percée d'un micro-trou de 200 µm de diamètre, dans lequel circule de l'oxygène à 0,5 mbar. Une décharge plasma est amorcée en appliquant une tension de 1 kV entre deux électrodes de platine. Le produit de ce plasma contient de l'oxygène atomique qui sort par effusion par le micro-trou et est dirigé vers le substrat. Nous avons obtenu les différentes phases d'oxydes de fer en faisant varier les flux respectifs d'oxygène atomique et de fer.

Les oxydes de fer possèdent des propriétés magnétiques intéressantes et ont l'avantage de présenter des relations cristallographiques simples avec la surface (0001) de l'alumine a-Al2O3. C'est pourquoi le système (Fe,O) / a-Al2O3 a été choisi pour étudier les propriétés fondamentales de la croissance. L'oxyde a-Fe2O3 (hématite) a la même structure cristallographique que l'alumine, mais un paramètre de maille 6 % plus grand. La figure 1 montre l'évolution du paramètre de maille dans le plan du film en fonction du temps de dépôt.


Figure 1 : Suivi du paramètre de maille dans le plan, en fonction du temps de dépôt. La mesure est faite par diffraction d'électrons rapides en incidence rasante, pendant le dépôt. La valeur du paramètre est normalisée par rapport à l'alumine support.

Dans le schéma classique de la croissance "pseudomorphe", c'est-à-dire où le paramètre du film coïnciderait avec celui du substrat, on attendrait donc la formation d'un film de a-Fe2O3 contracté par rapport à l'hématite standard. Ce n'est pas ce que l'on observe : de façon inattendue, dès le début de la croissance, il y a formation d'une phase inconnue dans le diagramme de phase (Fe, O). Elle est très dilatée : son paramètre de maille est plus grand que celui de tous les oxydes de fer stables. Dès la deuxième couche, la phase d'hématite standard commence à se former et devient majoritaire au fur et à mesure que le dépôt avance.

Encore plus surprenant : cette phase apparaît aussi lorsque l'on se met dans les conditions de croissance d'autres oxydes de fer comme g-Fe2O3 (maghémite) et Fe3O4 (magnétite) sur l'alumine.

Comment expliquer la stabilisation de cette phase particulière ? Pour une couche mince de composé ionique, on peut diminuer considérablement l'énergie électrostatique de surface en diminuant la distance interplanaire, ce qui induit alors une dilatation des distances inter-atomiques dans le plan.
A la différence de la croissance des métaux et semiconducteurs, c'est l'énergie électrostatique de surface qui domine le bilan énergétique. Les termes d'énergie interfaciale et de contrainte ne jouent pas de rôle significatif, ce qui explique l'absence de croissance pseudomorphe.

Cette étude montre que la MBE permet d'obtenir, dans le cas des couches minces d'oxydes, des phases nouvelles, sans équivalent dans les matériaux massifs. La prochaine étape consiste à explorer leurs propriétés magnétiques, en vue d'applications potentielles.


Pour en savoir plus :

S. Gota, E. Guiot, M. Henriot, M. Gautier-Soyer, Phys. Rev. B60 (1999) 14387.

Contacts :

Susana GOTA, Martine GAUTIER-SOYER.

Le Comité de rédaction


Phases Magazine N° 25
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