... Phases Magazine N° 22
Des nanodisques ultrarigides de tensioactifs

MARS 2000 N° 23

Sur le repliement des protéines

Une équipe du Spht (Physique Théorique) applique des méthodes de physique statistique à un modèle de protéine qui rend compte du caractère universel des structures secondaires (hélices et feuillets).

Le repliement des protéines est un des problèmes majeurs de la biologie moléculaire, schématiquement décrit comme suit (voir encart). Chaque protéine est un petit polymère qui est capable d'exister sous deux formes, l'une dépliée (ou dénaturée) et biologiquement inactive, l'autre repliée (ou native) et biologiquement active. Comprendre le repliement, c'est comprendre le lien entre la suite des acides aminés le long de la séquence primaire de la protéine et la forme repliée responsable de l'activité biologique.

Les Protéines

Les protéines sont des polymères de petite taille, qui possèdent la propriété remarquable de se replier, dans les conditions physiologiques, en une forme géométrique unique et biologiquement active. Cette activité biologique (catalyse, transport d'oxygène, ...) dépend de la protéine considérée . Le site actif est généralement situé sur la surface de la protéine repliée, ce qui souligne l'importance du rôle du solvant (e.g.  l'eau).

D'un point de vue chimique, la formule de ce polymère s'écrit sous la forme  ( - NH - CaHR1 - CONH - CaHR2 - CO - ...), où ( - NH - Ca - CO - ) est le motif de base de la chaîne principale et (R1, R2, ...) désignent les chaînes latérales d'acides aminés. Chez l'homme, il existe vingt types différents d'acides aminés. Malgré la grande diversité possible des enchaînements d'acides aminés, on retrouve dans la plupart des protéines certains motifs structuraux comme les hélices ou les feuillets (voir figure).

 Quelques nombres aident à définir le problème d'un point de vue physique:

  • le nombre typique d'acides aminés dans une protéine est de quelques centaines.

  • le rayon typique d'une protéine repliée est d'environ 40 Å.

  • les échelles  de  temps  du  repliement  s'étendent  de  10-6 s à 10-3 s. Ce dernier chiffre suggère que l'espace des phases d'une protéine comporte de nombreux minima locaux.

  • la transition de repliement est une transition du premier ordre, avec une perte d'entropie d'ordre kB par monomère.

Cette structure tridimensionnelle d'un mutant de la protéine DsbA a été résolue par diffraction des rayons X au Département d'Ingénierie d'Etudes des Protéines de la DSV (J.-B. Charbonier et al., Protein Science, 1999, 8, 96-105). Seule la chaîne principale est représentée. Les vides apparents sont, en fait, comblés par les chaîne latérales. On retrouve i) 8 hélices (en orange et rouge) qui sont stabilisées par des interactions entre les éléments chimiques distants d'un pas d'hélice ii) 5 feuillets antiparallèles (en bleu) pour lesquels la stabilisation est obtenue par les mêmes interactions mais impliquant les éléments chimiques voisins dans l'espace mais appartenant à deux brins différents et iii) des boucles (en gris). Le site actif est représenté par les sphères.

Depuis une dizaine d'années, les physiciens théoriciens s'intéressent à ce problème.  Si on oublie le solvant, la physique du repliement apparaît comme une physique d'amas avec contrainte polymérique.  Une description plus chimique d'une protéine souligne alors le contraste entre la grande variété des acides aminés, et l'aspect (presque) périodique de la chaîne principale ( - CONH - Ca - ).

Ces remarques suggèrent deux modèles extrêmes possibles pour une protéine :

  1. un modèle qui tient compte de la structure spécifique de chaque protéine. On décrira alors la protéine comme un polymère où chaque monomère est différent (hétéropolymère).

  2. un modèle où l'on s'attache à décrire certains aspects universels des protéines comme l'existence de régions spatialement structurées de la chaîne principale (en hélice ou en feuillet). La protéine est alors décrite comme un polymère où tous les maillons sont identiques (homopolymère).


Figure 1 : Sur ces fragments de protéine, la chaîne principale est schématisée par un ruban.  Les dipôles C -- O sont représentés par des "gélules" (C en gris et O en rouge).  Les dipôles NH sont parallèles aux liaisons C -- O et ne sont pas représentés.  En a), pour une hélice, les dipôles sont parallèles (et de même direction).  En b), pour un feuillet, ici constitué de 4 brins, les dipôles ont leurs axes parallèles mais leurs directions alternent le long des brins.  Dans ces deux cas, l'arrangement des dipôles minimise l'énergie, ce qui favorise l'apparition de ces deux motifs structuraux.

Une équipe du SPhT a récemment étudié un modèle qui va au-delà du modèle simple d'homopolymère : tous les acides aminés sont identiques à l'exception de la glycine et de la proline. Ses caractéristiques majeures sont (i) la présence d'un fort moment dipolaire électrique dans le plan peptidique CONH, (ii) l'existence d'une même chiralité pour les Ca, (iii) des contraintes stéréochimiques fortes (impliquant par exemple que le moment dipolaire du plan CONH est perpendiculaire au vecteur joignant les deux Ca adjacents).

Dans cette approche, la glycine apparaît comme un défaut de chiralité, et la proline comme un défaut de moment dipolaire.  En effet, on remarque expérimentalement que glycines et prolines sont très souvent situées hors des hélices et des feuillets.

Ce modèle, traité au niveau du champ moyen, présente une analogie formelle avec des transitions de phase des cristaux liquides. On trouve ainsi, pour une chaîne dipolaire assez chirale, une transition entre une phase dépliée et une phase "cristalline". Le paramètre d'ordre associé à cette transition est un tenseur qui adopte la même valeur pour les hélices et les feuillets (Fig. 1). Cette unité des structures secondaires permet de comprendre l'existence de séquences "caméléons", qui, pour une même structure primaire, adoptent une conformation soit en hélices, soit en feuillets, suivant leur place dans la protéine.

Le modèle d'une chaîne dipolaire chirale a permis d'expliquer l'existence des structures secondaires, et peut être appliqué à l'étude des mécanismes du repliement. Cependant la détermination de la structure repliée d'une protéine particulière, ainsi que la description de sa dynamique de repliement ou de son activité biologique, devra prendre en compte les aspects hétéropolymériques.


Pour en savoir plus :

Protein folding, anisotropic collapse and blue phases,
E. Pitard, T. Garel and H. Orland,
J. Phys. I France 7 (1997) 1201.

Contact :

E. Pitard, T. Garel, H. Orland.

Le Comité de rédaction


Phases Magazine N° 23
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