MAI 1999 N° 20
Figure 1 : Jonction à cassure microfabriquée. |
Quelle est la conductance des plus petits circuits électriques imaginables, formés d'un seul atome entre deux électrodes métalliques ? Comment est-elle liée aux propriétés chimiques de l'espèce considérée ? Les physiciens du groupe de Quantronique du SPEC au CEA-Saclay, en collaboration avec deux groupes de l'Université Autonome de Madrid (Espagne) et un groupe de l'Université de Leiden (Pays-Bas), viennent d'apporter à cette question une réponse aussi bien expérimentale que théorique, en utilisant la richesse du transport électrique dans les métaux supraconducteurs.
Ce sont le nombre et la force des liens établis par l'atome central avec ses voisins qui déterminent cette conductance. Chacune des orbitales de valence de cet atome donne lieu à un chemin de conduction ou " canal " par où passe le courant. En présence d'une tension électrique appliquée entre les électrodes, le flux d'électrons est fonction du nombre de canaux disponibles et de l'efficacité de chacun d'eux. Cette efficacité est caractérisée par un coefficient de transmission ti qui est déterminé par l'arrangement des atomes autour de l'atome central. La conductance totale du contact est simplement G = G0T, où T = Sti est la transmission totale et G0 = 2e2/h = 77 µS = (12.9 kW)-1 est le "quantum de conductance" (e est la charge de l'électron et h la constante de Planck).
En pratique, des contacts électriques de taille atomique sont obtenus depuis quelques années par différentes techniques apparentées à celle du microscope à effet tunnel. L'équipe de Saclay a développé la technique des jonctions à cassure microfabriquées, qui permet une stabilité sans égale. En utilisant les techniques de lithographie par faisceau d'électrons, on découpe dans une couche métallique mince un micropont suspendu ayant un diamètre de l'ordre de 100 nm en son point le plus étroit (voir figure 1). En pliant le substrat à l'aide d'un poussoir mécanique on casse le micropont en son point le plus faible. Ceci est fait dans un vide cryogénique afin de garantir la propreté des deux électrodes résultant de la cassure. En relâchant la contrainte on ramène ensuite les deux électrodes au contact. La distance entre électrodes est contrôlée par le poussoir avec une précision meilleure que 10 pm ce qui permet de reconstruire le contact " atome par atome ".
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Pour chaque réalisation du contact on mesure le courant électrique qui circule lorsque on applique une tension électrique. Ce courant croit linéairement avec la tension lorsque le métal est normal (non supraconducteur), et de cette mesure on ne peut extraire qu'un nombre, la conductance G (i.e. la transmission totale T) du contact. Rien ne peut donc être dit à propos des canaux individuels qui composent le contact. Au contraire, on peut dénombrer les canaux et déterminer l'efficacité de chacun d'eux en mesurant le courant en fonction de la tension électrique appliquée dans des contacts de métaux supraconducteurs. C'est la variété des processus de transfert de charge dans l'état supraconducteur, où les électrons peuvent passer seuls, en paires ou même en paquets plus gros, qui permet de démêler la contribution de chaque canal ouvert, car dans ce cas le transport de charge dépend de façon fortement non-linéaire de chaque coefficient de transmission. La figure 2 montre des exemples de caractéristiques courant-tension (I-V) obtenues pour différents contacts en Al à basse température (30 mK), ainsi que les meilleurs ajustements théoriques calculés en utilisant comme paramètres libres le nombre de canaux et leur transmission ti .
La figure 3 montre un exemple de l'évolution de la conductance G lorsqu'on étire les contacts jusqu'à la rupture. On observe une décroissance par paliers de la transmission qui traduit la diminution du nombre d'atomes au contact. Le nombre indiqué sur chaque palier est celui du nombre de canaux obtenu en chaque point par l'analyse des caractéristiques I-V.
Ces mesures ont été réalisées pour quatre matériaux différents (Al, Pb, Nb et Au). Dans chaque cas, le nombre de canaux au dernier palier avant rupture correspond à la valence de l'espèce chimique.
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Trois canaux pour le plomb et l'aluminium, cinq pour le niobium. Pour le contact en or, rendu localement supraconducteur par contact avec des réservoirs supraconducteurs en Al, le dernier palier correspond à un seul canal de conduction comme prévu pour un métal monovalent. Remarquons que la résistance minimale d'un contact d'un atome d'or est fixée par les lois de la mécanique quantique à 12.9 kOhms. L'ensemble de ces résultats montre que juste avant rupture ces contacts ne sont constitués que d'un seul atome. De plus, on a pu constater que l'efficacité de chacun des canaux peut-être modifiée en comprimant ou en étirant le contact.
Ces expériences établissent ainsi un lien entre les propriétés de transport des contacts atomiques et les propriétés chimiques des atomes constituant le contact. Il est peut-être utile de rappeler ici que les propriétés de transport à travers un métal massif dépendent au contraire de la structure de bande de celui-ci, laquelle n'a en général que peu de rapport avec la valence chimique de l'atome du métal isolé. Par exemple, bien qu'à l'échelle macroscopique l'or soit un bien meilleur conducteur que le plomb, la résistance minimale d'un contact à un atome de plomb peut-être, grâce à ces trois canaux de conduction, beaucoup plus faible que celle d'un atome d'or.
Les concepts qui émergent de ces expériences constituent un premier pas vers la compréhension des lois qui régissent les circuits électriques à l'échelle atomique et moléculaire, frontière ultime de la miniaturisation.
Pour en savoir plus :
Nature, vol 394 daté du 9 juillet 98.
Phys. Rev. Lett. 78, 3535 (1997)
Contact :
C. Urbina (SPEC).
Phases Magazine N° 21
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