... Phases Magazine N° 13
Le carbone en pleine forme : Comment deviennent-ils Footballènes ?...

SEPTEMBRE 1995 N°14

RAMSES II au pays des mayas

Le contrôle de la croissance cristalline est un enjeu technologique de plus en plus important depuis une vingtaine d'années. La conception de nouvelles céramiques, le développement de la micro-électronique et de son «mariage» avec la biologie sont autant de raisons de s'intéresser à ce phénomène. Si les techniques de dépôt par jet moléculaire ou atomique sont de mieux en mieux maîtrisées, il reste cependant à comprendre les mécanismes de diffusion des atomes en surface, paramètre-clé de la croissance cristalline. Le dispositif expérimental RAMSES II du SRSIM se révèle là un outil de choix.

Les films minces sont en général fabriqués par une technique de dépôt par jet moléculaire ou atomique : pour obtenir un film mince de métal A, on envoie des atomes A sur un substrat métallique B. La qualité du film ainsi obtenu dépend des compatibilités géométrique et chimique (ou électronique) des matériaux A et B. Lorsque le dépôt et le substrat sont de même nature ces désaccords disparaissent d'eux-mêmes et la qualité des films obtenus dépend uniquement de la vitesse de déposition des atomes incidents et de la température du substrat. En effet, ce dernier est soumis à une pluie d'atomes incidents lesquels peuvent, une fois déposés sur la surface, se déplacer.


Figure 1 : Un atome incident arrive sur une surface métallique au site I lorsqu'un deuxième atome incident arrive au même endroit, il ne pourra occuper le site I que si le premier a eu le temps de migrer sur la surface (cas a). Sinon il en résulte une croissance tridimensionnelle (cas b)

Considérons un site (I) du substrat sur lequel un atome vient d'arriver : si cet atome a le temps de se déplacer (Fig. 1 : cas a) avant qu'un nouvel atome n'arrive en (I), (I) pourra de nouveau être occupé et ainsi de suite ... Si au contraire (cas b), le premier atome arrivé en (I), y reste, un second atome incident trouvera la place occupée et se posera sur le précédent. On voit donc que deux échelles de temps entrent en compétition :

Le premier est caractéristique de la mobilité des atomes en surface qui dépend elle-même de la température du substrat : une température élevée va de pair avec une mobilité accrue. Le second est caractéristique de la vitesse de déposition ou du flux d'atomes incidents.

Pour résumer, un faible flux et une température du substrat élevée favorisent en général une croissance bien ordonnée et, dans le cas idéal, une croissance couche atomique par couche atomique; au contraire, une température basse entraîne en principe, la construction d'une surface rugueuse. Qualitativement, ceci est vérifié par les expériences menées sur RAMSES II (cf Phases n° 8). Mais quelle est la nature de la morphologie rugueuse obtenue ? Peut-on la caractériser d'une manière quantitative et peut-on espérer la contrôler ?

Figure 2 : a) image de diffraction produite par le diffracteur d'hélium RAMSES II après un dépôt de 100 monocouches de cuivre sur une surface (100) de cuivre à 200 K. Le côté droit (resp. gauche) du cliché correspond à une succession de marches montantes (resp. descendantes) séparées de 6.25 Å les unes des autres.

b) le cliché de diffraction obtenu est caractéristique d'une structure pyramidales similaire à celle qui a été obtenue par simulation numérique en tenant compte de l'existence de l'effet Schwöbel (P. Smilauer et al, Phys. Rev B 47, 4119 (1993).

Une équipe du SRSIM s'est intéressée à ces problèmes en étudiant la croissance du cuivre par diffraction d'atomes d'hélium. Des atomes de cuivre sont déposés sur une surface (100) de cuivre maintenue à une température constante de 200 K. Après un dépôt d'un nombre d'atomes équivalent à 100 monocouches, l'image de diffraction obtenue par RAMSES II (Fig. 2a) est caractéristique d'un ensemble de structures pyramidales dont les côtés constituent une succession de terrasses de largeur bien définie : 6.25 Å. Mais RAMSES II permet aussi des mesures en temps réel : au début de la croissance, les terrasses sont de taille supérieure à 6.25 Å ; leur largeur diminue régulièrement avec le nombre d'atomes déposés; ce n'est qu'après un dépôt d'une soixantaine de monocouches que cette largeur reste constante.

L'explication qualitative de l'apparition de cette structure pyramidale est aisée si on suppose l'existence de l'effet Schwöbel (voir encadré) : les atomes piégés sur les terrasses sur lesquelles ils ont été déposés forment par nucléation des îlots qui constituent enfin une terrasse et ainsi de suite ... Quantitativement, il y a bien des simulations numériques de croissance, prenant en compte l'effet schwöbel, et qui conduisent à des structures d'interface similaires (Fig. 2b). Il faudrait, évidemment avoir une idée un peu plus précise sur la hauteur de cette barrière énergétique dans le cas du cuivre, sur ses conditions d'existence, température, taille ou forme des îlots. Or, l'effet Schwöbel est encore mal connu même si son existence ne fait maintenant guère plus de doutes. C'est donc un vaste champ d'investigations théoriques et expérimentales qui s'ouvre avec, à la clé, le contrôle de la croissance des couches minces.

L 'effet Schwöbel

Le potentiel ressenti par un atome qui migre sur une surface dépend du relief de cette surface. Sur une terrasse, le potentiel est faiblement modulé; la période des oscillations est directement reliée à celle du réseau. Au bord d'une marche, dans certains cas, il existe une barrière énergétique plus importante qui empêche l'atome de sauter du niveau supérieur au niveau inférieur. Par conséquent, les atomes sont comme piégés sur un niveau et les processus de mise en ordre ne peuvent avoir lieu que sur ce niveau. L'existence d'un tel effet avait été suggéré par Schwöbel à la fin des années soixante. On en a maintenant quelques indications expérimentales directes, notamment grâce à l'observation des surfaces au microscope à effet de champ.


Pour en savoir plus :

J. Villain, J. Phys 1 (France) 1,19 (1991)
H.J. Ernst et al, Phys. Rev. Lett. 72,112 (1994).

Contact :

H. Hernst.

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