... Modèles de poussières interstellaires en laboratoire

AVRIL 1994 N°13

Comment deviennent-ils Footballènes ?

Comment passe-t-on des petits agrégats de carbone, de structure linéaire puis cyclique à la molécule tridimensionnelle, très symétrique de C60 ? C'est à cette question que s'intéresse un groupe d'expérimentateurs du SPAM en cherchant à caractériser les agrégats de taille charnière autour de n = 25 (voir encadré).


Figure 1a : Spectre de masse d'agrégats de carbone créés en absence de refroidissement collisionnel par un gaz porteur : on notera l'absence des agrégats de rang impair ainsi que des tailles comprises entre 20 et 30 atomes.


Figure 1 b : Spectre de masse d'agrégats de carbone refroidis dans une détente d'hélium : dans ce cas, les agrégats situés dans la zone de transition de structure ainsi que les agrégats de rang impair sont suffisamment stables pour apparaître dans le spectre de masse.

Depuis quelques années, on sait produire en phase gazeuse des agrégats de carbone de toutes tailles, ou presque. Pour ce faire, on procède d'abord à l'évaporation d'atomes de carbone, en focalisant un faisceau laser intense sur un barreau de graphite (vaporisation par laser), que l'on entraîne ensuite dans une détente supersonique: le refroidissement de la vapeur y est suffisant pour provoquer la condensation des atomes. La distribution des tailles d'agrégats, telle qu'on la mesure par spectrométrie de masse, reflète la stabilité relative des agrégats en fonction de leur taille. Deux zones de stabilité apparaissent clairement: l'une concerne les petits agrégats (n < 20) et la seconde ceux comportant plus de 32 atomes. Entre les deux, existe une zone charnière dépeuplée, donc caractérisée par des agrégats de moindre stabilité, qui semble correspondre, d'après les considérations théoriques, à la taille critique pour laquelle ces édifices atomiques passent d'une forme plane à une structure tridimensionnelle (voir encadré).

Afin de vérifier cette hypothèse, des chercheurs du SPAM mènent une expérience sur la formation et la caractérisation des agrégats de la zone charnière. En réalisant la détente de la vapeur de carbone en présence d'un gaz porteur tel que l'hélium, ils sont parvenus à refroidir suffisamment les agrégats pour stabiliser les espèces les plus fragiles, notamment celles de la zone critique (Fig 1b).


Figure 2 : Mise en évidence quantitative de l'efficacité de fragmentation des agrégats par mesure de leur dépopulation en fonction de la densité des photons incidents. Ici, dans le cas des ions C+31 , irradiés à 355 nm, la décroissance des agrégats en fonction de la densité d'énergie est bien reproduite par un modèle (courbe en trait plein) mettant en jeu deux populations d'isomères d'inégales stabilités.


Figure 3 : Spectre de masse révélant la présence des fragments consécutifs à l'excitation des ions C+27.

L'étape de caractérisation consiste ensuite à étudier le comportement des agrégats sous l'effet d'une irradiation lumineuse. Après un vol libre, dont le but est de séparer les différentes masses présentes dans le jet, les agrégats ionisés de taille bien définie sont excités à l'aide d'un laser. L'énergie des photons absorbés est alors rapidement redistribuée dans les modes de vibration des agrégats et peut conduire à leur fragmentation. La mesure de la proportion des agrégats "parents" non fragmentés en fonction de la densité d'énergie du laser d'excitation (Fig. 2) ainsi que l'analyse en masse des fragments formés (Fig. 3) sont réalisées dans un spectromètre de masse à temps de vol à haute résolution. Les résultats obtenus pour des irradiations laser à différentes longueurs d'onde suggèrent l'existence de plusieurs isomères présentant des caractéristiques et des stabilités différentes pour les agrégats de la zone charnière. L'existence de ces isomères pourrait bien être la signature de la transition entre formes planes et cages, traduisant en quelque sorte l'hésitation du système entre ces deux structures limites.

L'étude comparative de l'évolution des principaux fragments en fonction de la densité d'énergie du laser d'excitation devrait prochainement permettre de préciser la géométrie de ces différents isomères.


Pour en savoir plus :

R.F. Curl et R.E. Smalley, Pour la Science 170 (1991)46.
P.P Radi, M.T. Hsu, J. Brodbelt-Lustig, M. Rincon and M. T. Bowers, J. Chem. Phys. 92 (1990)4817.
P. Pradel, P. Monchicourt, J. J. Laucagne, M. Perdrix and G. Watel, Chem. Phys. Letters, 158 (1989)412.

Contacts :

P. Pradel, P. Monchicourt, F. Roussel.

Le Comité de rédaction


Phases Magazine N° 14
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