... Coup d'œil sur les membranes

JANVIER 1992 N°8

RAMSES II regarde pousser les cristaux

Une équipe du Service des Surfaces (SRSIM) a mis au point un nouveau diffracteur d'atomes d'hélium (appelé RAMSES II) pour étudier à l'échelle atomique, la croissance des cristaux à basse température.


Figure 1 : Le dispositif expérimental nommé RAMSES II (Rétrodiffusion des Atomes et Molécules sur des Surfaces) est composé essentiellement d'une sonde (le jet d'hélium), d'un manipulateur portant l'échantillon à analyser et d'une ligne de détection des atomes de la sonde. Le jet est obtenu par détente supersonique d'hélium, initialement à 200 bars, à travers une tuyère. L'écorceur affine encore la monochromaticité du faisceau qui est ensuite, collimaté. Le faisceau est réfléchi et diffracté par la surface de l'échantillon durant la déposition des atomes obtenue par évaporation d'un bloc de cuivre. Les atomes d'hélium réfléchis sont ensuite ionisés et détectés. On détermine la variation d'énergie cinétique de ces atomes en hachant le faisceau et en faisant une analyse par temps de vol.

La science des surfaces a toujours souffert d'une double incompréhension : l'homme de la rue ne comprend pas la finalité de recherches fondamentales sur un objet aussi trivial et certains physiciens assimilent cette science à une technique, certes utile pour l'industrie, mais très éloignée des beaux modèles théoriques de la "grande physique". On pourra sans doute objecter que l'attribution du prix Nobel de physique à P.G. de Gennes a bien montré que théorie et objets de la vie courante pouvaient faire bon ménage ... En fait, ce double aspect, cognitif et appliqué, est toujours présent en recherche sur les surfaces ; nous allons le constater ici encore.

Dans la nature, les cristaux se présentent rarement sans défauts (impuretés, fautes d'empilement, lacunes ...). Or, les nouvelles technologies (microélectronique, supraconducteurs, etc) nécessitent l'usage de nouveaux matériaux sous une forme cristalline pratiquement parfaite. Une des techniques les plus utilisées pour les fabriquer, est le dépôt par jet moléculaire ou atomique sur un substrat parfaitement caractérisé. La qualité de la couche dépend en particulier de la vitesse de déposition et de la température du substrat. On peut, par exemple, obtenir un film bien ordonné qui croît régulièrement couche par couche ou au contraire, une surface très rugueuse. Une température élevée favorise en général une croissance régulière mais aussi un phénomène indésirable : l'interdiffusion entre les atomes du substrat et ceux du dépôt. Cet effet a conduit récemment à des études très poussées sur les tout premiers stades de la déposition, particulièrement à basse température.

Parallèlement, sur le plan théorique, ces dernières années ont vu un important développement des études sur les transitions de phase des systèmes bidimensionnels. Ceux-ci présentent, par rapport à la matière à trois dimensions, d'étonnantes propriétés. On peut citer comme exemple, la transition rugueuse d'une surface à l'équilibre ou la fusion de surface d'un cristal. Actuellement, de nombreux groupes s'intéressent plus particulièrement aux propriétés des surfaces hors équilibre thermodynamique. Certains modélisent la structure des surfaces de cristaux en croissance.

Le diffracteur d'atomes d'hélium

Afin de déterminer la morphologie de la surface, à l'échelle atomique, on utilise comme sonde, un faisceau très collimaté et de longueur d'onde bien définie. Cette dernière doit être adaptée à la taille des objets que l'on veut étudier par diffraction (quelques Angström). Dans le jet réalisé, l'hélium, gaz rare non réactif et léger, a une vitesse de 980 m/s et une longueur d'onde de de Broglie associée de 1.1 Å. Les ondes ainsi produites sont réfléchies et diffractées par la surface analysée. En détectant les atomes diffractés, dans toutes les directions de l'espace, on obtient l'image non pas directe mais réciproque (par transformation de Fourier) de la surface à l'échelle atomique. De plus, en analysant la variation d'énergie des atomes d'hélium du fait de leur interaction avec la surface, on en déduit la dynamique de la surface (phonons).

Cette technique permet de déterminer non seulement les positions moyennes des atomes de la surface, mais aussi leur distribution statistique. Celle-ci donne directement accès à certains paramètres thermodynamiques, tels que l'énergie de formation d'une marche ou d'un trou sur la surface. La microscopie par effet tunnel, technique complémentaire au diffracteur d'atomes, donne, au contraire, une image réelle point par point de la surface. En faisant la transformation de Fourier de cette image directe et en la comparant avec les spectres obtenus par diffraction d'hélium, on peut déterminer si l'image locale donnée par microscopie est représentative ou non de l'ensemble de la surface.

Ces deux motivations ont conduit une équipe du SRSIM à construire un diffracteur d'atomes d'hélium permettant les études de dynamique et de cinétique des surfaces (encadré et Fig. 1). Un nouveau thème de recherche a été ainsi développé : l'étude de la cinétique de croissance de couches minces.


Figure 2 : Pour certaines incidences, l'intensité réfléchie par la surface en cours de croissance dépend de la différence du nombre d'atomes entre couches successives. L'intensité I est représentée en fonction du nombre d'atomes déposés : dans une croissance couche par couche l'intensité oscille.


Figure 3 : a) Evolution de la morphologie de la surface avec le temps. Les zones noires représentent les atomes déposés à 80 K puis recuits à 220 K. Typiquement, les tailles caractéristiques croissent au cours du temps. b) En changeant à chaque instant l'échelle d'observation on perçoit mieux l'évolution autosimilaire.

Pour parvenir à des résultats interprétables, il faut réaliser des systèmes réellement bidimensionnels et s'affranchir de tous les phénomènes parasites, tels que les contaminations ou les défauts de surface. La surface de cuivre (1, 0, 0) bien préparée peut, à cet égard, servir de surface modèle.

Les analyses, in situ et en temps réel, du dépôt d'atomes de cuivre sur cette surface ont permis tout d'abord de déterminer les conditions (flux d'atomes et température de la surface) permettant une croissance couche par couche (Fig. 2 ).

Les atomes déposés migrent sur la surface, puis forment par nucléation des îlots qui croissent en taille (Fig. 2). La régularité du dépôt dépend du rapport entre la vitesse de déposition (flux d'atomes déposés) et la vitesse de migration des atomes sur le substrat (lime à sa température). L'originalité de l'expérience consiste à déterminer, pendant la croissance, la distance entre les îlots, pour différentes conditions de flux et de température. Le coefficient de diffusion d'un atome de cuivre sur la surface Cu (1, 0, 0) est alors déduit. L'énergie de migration obtenue est en accord avec les résultats d'un calcul théorique qui montrent que l'atome ne se déplace pas en sautant de site en site (comme on peut l'imaginer naïvement !) . Au contraire, l'atome déposé sur la surface pousse un atome de la couche inférieure et prend sa place, ce dernier remontant dans un site voisin ; ce mécanisme de migration consomme ici moins d'énergie que le précèdent.

Une autre expérience a été réalisée : elle consiste à analyser la cinétique de remise à l'équilibre d'un dépôt, créé à 80 K, puis recuit à une température comprise entre 200 K et 300 K. RAMSES II a montré que la morphologie des îlots déposés évolue de façon autosimilaire (Fig. 3). Les tailles caractéristiques évoluent avec le temps selon une loi de puissance dont l'exposant critique est en accord avec les modèles théoriques qui tiennent compte du déplacement des atomes le long des bords des îlots. Ces données viennent à point dans un domaine où les modèles théoriques foisonnent alors que les résultats expérimentaux restent rares.


Contacts :

HJ. ERNST, F. FABRE, J. LAPUJOULADE.

Le Comité de rédaction


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