...Phases Magazine N° 7
Chimie organométallique de l'uranium

JANVIER 1992 N°8

Coup d'œil sur les membranes

L'intérêt des physiciens pour les matériaux d'origine biologique s'est beaucoup accru ces dernières années. Les méthodes de Physique Statistique ou de Théorie des Champs sont en effet assez bien adaptées aux ensembles constitués d'un grand nombre de molécules. Parallèlement, les simulations numériques assistées de moyens graphiques permettent de visualiser certains aspects de l'évolution de ces systèmes. Des physiciens du Service de Physique Théorique de Saclay et du Laboratoire de Physico-Chimie Théorique de l'ESPCI se sont lancés dans l'étude de la dynamique des membranes lipidiques.


Figure 1 : Formation d'une vésicule fermée à partir de particules libres confinées dans un thermostat. Chaque particule est visualisée comme une sphère dure composée d'une couche hydrophobe (jaune) en sandwich entre deux calottes hydrophiles (bleue et rouge). A lire de gauche à droite et de haut en bas.

Les systèmes membranaires (les liposomes, les microémulsions, les vecteurs du transport des médicaments, pour ne citer que les plus connus) présentent un grand intérêt en raison de leurs nombreuses applications en biologie. Sur le plan conceptuel, leurs principales caractéristiques découlent de leur structure bidimensionnelle et de la richesse de leur comportement thermodynamique. A Saclay, les physiciens étudient plus particulièrement la classe importante que constituent les membranes amphiphiles. C'est un survol de leur activité que nous présentons ici.

Une molécule amphiphile (phile = qui aime, amphi = les deux) est composée d'une "tête" polaire hydrophile et d'une "queue" hydrophobe, repoussée par le milieu aqueux. Cette double affinité fait que les molécules s'assemblent de façon à exposer leur tête et protéger leur extrémité lipidique. Parmi les structures les plus simples qui peuvent se former à partir de telles molécules se trouvent les membranes bi-couches, de très faible épaisseur par rapport à leur extension. Ces structures quasi bidimensionnelles peuvent se présenter sous une grande variété de formes : vésicules fermées (globules rouges ...), cristaux lamellaires, structures de type éponge, ... En raison du grand nombre de molécules impliquées, et de leur géométrie locale souvent complexe, il est difficile de traiter le problème à partir d'interactions microscopiques réalistes, sauf pour de très petits ensembles. Pour compliquer le problème, ces membranes évoluent, si dans certaines conditions, elles n'effectuent que de petites ondulations, elles peuvent également changer brutalement de forme.


Figure 2 : Deux vésicules dont la forme est ici proche de celle des globules rouges, se séparent sous l'action de fortes fluctuations thermiques : initialement en contact (A), elles changent de forme (B), ce qui provoque le décrochage (C) et la séparation (D).

C'est pourquoi se sont développées des théories phénoménologiques qui ignorent les détails microscopiques, mais permettent de prédire certains comportements généraux. Les membranes sont considérées comme des surfaces fluctuantes continues, décrites par une énergie effective qui dépend de la forme locale de la membrane (sa courbure), de son élasticité, de sa topologie (c'est-à-dire de sa forme globale : ouverte, fermée, avec des pores...) et éventuellement de degrés supplémentaires de liberté liés aux particularités chimiques des composants. A partir de cette description simplifiée, on a construit des modèles pour toutes sortes de membranes avec des topologies et des interactions différentes. On a pu dégager les propriétés universelles de ces modèles (spectre d'excitation, indices critiques de transition de phase) qui décrivent correctement le comportement en fonction de la température des systèmes réels ; par exemple, on explique bien la transition de "froissement" (une membrane "plate", analogue à une feuille de papier se "chiffonne" jusqu'à devenir une pelote inextricable). On a également pu prédire des phénomènes nouveaux comme la transition de "décrochage" entre membranes en interaction (Fig. 2) ou la "brisure de symétrie" entre les deux côtés de la membrane dans les phases éponges, toutes deux récemment mises en évidence expérimentalement.

Parallèlement à ces calculs analytiques, des simulations numériques ont été réalisées. Initialement, elles étaient un simple support des modèles théoriques : la surface qui modélise la membrane est remplacée par un réseau discret triangulé. Les techniques classiques utilisées sont de type Monte Carlo. Elles permettent effectivement d'observer les modifications de forme des membranes, mais pas les changements importants de leur structure interne ni de leur topologie.

Pour rendre compte de ces effets et en étudier la dynamique, il faut réintroduire la notion de systèmes de molécules et simuler au moins de façon simplifiée, leurs interactions. C'est pourquoi, des calculs de type "dynamique moléculaire" ont été entrepris, en collaboration, à Saclay et à l'ESPCI. Les membranes ne sont plus considérées comme des objets continus, mais sont formées de constituants individualisés, qui interagissent en suivant un processus d'auto-association ou d'auto dissociation. C'est ainsi que des vésicules fermées peuvent ultérieurement présenter de larges pores, ou s'ouvrir complètement, fusionner avec d'autres ou se casser en plus petits morceaux, ...

La visualisation en temps réel, facilitée par les énormes progrès des moyens graphiques, s'est révélée un outil essentiel : elle permet de contrôler immédiatement la présence ou l'absence d'effets indésirables et aussi de présenter le système sous différents aspect (zoom, angle d'observation, éclairages, marquage de particules, ...), méthodes qui permettent de rejeter ou accepter plus rapidement les hypothèses physiques. Cette démarche très nouvelle, ouvre de nouvelles perspectives pour l'étude des grands systèmes. La figure 1 est extraite d'un "film" mettant en scène une auto association : un petit nombre de molécules, initialement placées aléatoirement dans une boîte, s'assemblent pour former une vésicule fluide. La tension au bord de l'agrégat force la vésicule à se refermée. De nouvelles simulations, en cours, décrivent d'autres situations telles que le début de rupture d'une membrane soumise à une tension excessive, ou encore l'interaction d'une vésicule fermée avec une sphère collante.


Pour en savoir plus :

D.R. NELSON, T.PIRAN and S. WEINBERG eds. " Statistical Mechanics of Membranes and Surfaces" World Scientific Singapore 1989
J.M. DROUFFE, A.C. MAGGS and S. LEIBLER "Computer simulations of self-assembled Membranes" preprint SPh T 91 Vol. 254 29 Nov 1991 p13 53-56 "Science".

Contact :

JM. DROUFFE, F. DAVID, A. MAGGS.

Le Comité de rédaction


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