... Editorial

MAI 1991 N°6

 PHILTRE : un amour de manip


Figure 1 : Schéma du dispositif expérimental PHILTRE. Les molécules issues du four sons photodissociées par le rayonnement laser. Les fragments ainsi formés sont ensuite caractérisés par photoionisation : I'absorption d'un photon UV conduit à l'éjection d'un ou plusieurs électrons, dont l'énergie cinétique est mesurée par l'analyseur.

Avec l'avènement des nouvelles générations de machines produisant du rayonnement synchrotron, les années 80 ont vu mûrir l'idée de combiner deux sources de lumière de caractéristiques très différentes : le laser et le synchrotron. Fondée sur ce principe, I'expérience PHILTRE, implantée au Laboratoire pour l'Utilisation du Rayonnement Electromagnétique (LURE) par une équipe de photophysique du SPAM, permet de caractériser efficacement des espèces moléculaires instables telles que les radicaux atomiques ou les fragments moléculaires.

Toute particule chargée, animée d'un mouvement accéléré, rayonne. Cet effet est exploité dans un anneau de stockage tel que Super-Aco au LURE, pour obtenir un rayonnement électromagnétique accordable depuis le domaine visible (~ 2 eV) jusqu'aux rayons X (~ 5 keV). Le Rayonnement Synchrotron (RS) est l'outil de choix du physicien qui s'intéresse aux couches électroniques internes des atomes ou des molécules, à leur photoionisation ou à leur photoexcitation. En revanche, lorsque l'on cherche à étudier les transitions optiques, notamment celles impliquant les couches électroniques externes de ces mêmes espèces, le laser est un outil privilégié, fort apprécié pour sa monochromaticité et sa puissance.

Lorsque deux sources de lumière se rencontrent ...

Mettant à profit les caractéristiques spécifiques de ces deux sources de photons, l'expérience PHILTRE (PHotodissociation Induite par Laser et Testée par Rayonnement Electromagnétique) permet de photodissocier une molécule (le photon laser casse la ou les liaisons chimiques responsables de la cohésion moléculaire), puis d'en sonder les fragments par photoionisation (le photon RS arrache aux fragments un ou plusieurs électrons dont on analyse l'énergie cinétique).

Dans une première étape, on focalise le faisceau issu d'un laser à argon ionisé (~ 2,5 eV) sur un jet effusif de molécules AB (Fig. 1), afin d'exciter un état dissociatif produisant deux fragments A et B :

AB + Photon Laser -> A + B

Dans une seconde étape, le RS photoionise les fragments dans le domaine Ultra-Violet sous Vide (VUV: 20-140 eV) :

A + Photon RS -> A+ + e-

Connaissant l'énergie du photon RS, que l'on ajuste grâce à un monochromateur, et mesurant l'énergie cinétique des photoélectrons, on obtient l'énergie de chacun des états de l'ion A+, dont l'ensemble constitue la signature caractéristique de l'espèce A. C'est le principe de la Spectroscopie de PhotoElectrons (SPE).

Un philtre, pour quoi faire ...

Figure 2: Spectres de photoélectrons d'un jet d'iode obtenus pour une énergie de photons de 21,1 eV. La photoionisation de l'iode moléculaire en l'absence de laser (a) est caractérisée par une série de bandes attribuées aux premiers états électroniques de l'ion moléculaire I2+ ainsi formé. Avec l'excitation laser (b) apparaissent de nouvelles bandes liées à la photoionisation de I'iode atomique. Le spectre (c) réalisé à une forte puissance (8 W) montre que toutes les molécules d' iode sont dissociées.

En physique : on s'intéresse à la photoionisation des radicaux produits par photodissociation induite par laser. Les radicaux sont des espèces instables qui ont un "trou" dans leur couche électronique externe, dite ouverte. La présence de cette lacune confère aux radicaux des propriétés électroniques bien spécifiques, que l'on ne rencontre pas dans les espèces à couches fermées comme les gaz rares. Mal connus à ce jour car difficiles à produire, ils se rencontrent dans le milieu interstellaire, la haute atmosphère et transitoirement dans de nombreuses réactions chimiques. PHILTRE en permet la production continue dans le temps à l'endroit même de l'analyse.

Un exemple de radical est l'atome d'iode de configuration électronique 5s25p5, que nous produisons par photodissociation laser de la molécule I2, comme le montrent les spectres de photoélectrons (Fig. 2). Alors qu'en l'absence de laser (Fig. 2a), seules les bandes électroniques de l'iode moléculaire sont observées, l'irradiation laser génère de nouvelles raies : celles de l'iode atomique (Fig. 2b). Avec une puissance suffisante, on peut même obtenir une photodissociation complète (Fig. 2c). On a donc réalisé un véritable "réservoir" d'iode atomique pur, nécessaire à l'étude de cette espèce par SPE.

Ainsi, lors de l'étude de la photoexcitation en couche 4d de l'iode atomique, nous avons mis en évidence de forts effets de couche ouverte, tels que le couplage électrostatique entre couches 4d et 5p ou la modification des modes de relaxation, selon que l'on excite l'électron de cœur 4d vers une orbitale de valence 5p ou une orbitale de Rydberg 6p. Ces effets de couche ouverte ont été confirmés par une expérience similaire sur le brome.

En physico-chimie et plus précisément, dans les domaines de la combustion et de la physico-chimie atmosphérique et interstellaire, on s'intéresse à la photofragmentation induite par laser de molécules polyatomiques.

Figure 3 : Spectre de photoélectrons de la tétrazine (C2N4H2) enregistré à une énergie de photons de 23.0 eV. En l'absence de laser (a), le spectre présente la signature SPE de la tétrazine. Avec une puissance laser de 4 W (b), toutes les molécules sont dissociées ; seules apparaissent les bandes électroniques de leurs fragments N2 et HCN.

Le RS permet de sonder, par photoionisation, l'état électronique et vibrationnel des fragments, et donc d'obtenir la répartition d'énergie entre ces derniers. Cette stratégie expérimentale constitue une approche globale du phénomène puisque tous les fragments sont ionisés en même temps, ce qui n'est pas le cas avec des sondes laser classiques.

Par exemple, nous avons étudié sur la photodissociation dans le domaine visible d'une molécule cyclique, la tétrazine (C2N4H2), dont la seule voie de dissociation est à trois corps: 

N2 + HCN + HCN

 A l'instar du cas de l'iode, les spectres de photoélectrons, enregistrés sans laser (Fig. 3a) et avec laser (Fig. 3b) montrent que la photodissociation est complète, et on identifie sans difficulté la signature des fragments, connue par ailleurs. En enregistrant des spectres à plus haute résolution, nous avons mesuré l'énergie vibrationnelle des quelques fragments excités (5 % de molécules N2 et environ 25 % de molécules HCN) qui se révèle faible. Ce résultat laisse à penser que la majeure partie de l'énergie disponible dans la dissociation (exothermicité) se répartit principalement entre les degrés de liberté de translation et de rotation des fragments.


Pour en savoir plus :

- I. Nenner et A. Beswick, "Molecular Photodissociation and Photoionization", Handbook on Synchrotron Radiation, Vol 2, edited by G.V. Marr, Elsevier Science Publishers, 1987.
- L. Nahon, L. Duffy, P. Morin, F. Combet-Farnoux, J. Tremblay et M. Larzillière, Phys. Rev. A 41(1990) 4879.

Contacts :

Laurent Nahon, Paul Morin au LURE ( Orsay)

Le Comité de rédaction


Phases Magazine N° 6
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