... La première Image gamma du cœur de la Voie Lactée

DECEMBRE 1990  N°5

Quand la croissance cristalline se laisse apprivoiser : des monocristaux d'oxygène à volonté et sans servitude humaine

Pour étudier la diffusion neutronique par l'oxygène solide plastique, le LLB a mis au point un cryostat permettant de produire, in situ et à volonté, les monocristaux voulus : sans cristallite parasite, sans azote liquide et sans hélium liquide.

La phase plastique de l'oxygène solide O2, stable entre 44 K et 54 K, présente un intérêt pour l'étude de son désordre orientationnel. Nos résultats expérimentaux en diffusion neutronique, que nous n'aborderons pas ici, ont montré entre autres la présence d'un fort couplage translation-rotation, qui est au cœur des problèmes posés aux physiciens par ces systèmes désordonnés. Pour les théoriciens des solides à désordre orientationnel, c'est un composé modèle présentant, entre autres, un potentiel intermoléculaire nettement plus simple que celui des molécules plus grosses habituellement étudiées. Cependant, comme la plupart des composés "théoriquement simples", l'oxygène se révèle "expérimentalement coriace": point de fusion (54 K) inférieur à la température de l'azote liquide, très faible tension de vapeur (1,5 mbar) produisant toute une série de phénomènes parasites, propriétés oxydantes... De plus, les exigences des expériences de diffusion neutronique nécessaires à nos études sont très contraignantes: il faut de vrais et gros monocristaux, c'est à dire sans le moindre cristallite (cristal de maille microscopique 200 Å) parasite, et atteignant un volume de l'ordre du centimètre cube. Enfin, un (rapide!) tour d'horizon des fournisseurs d'oxygène montre que les monocristaux ne figurent pas à leur catalogue.

Ainsi, muni de ces mots clés : in-situ, gros monocristaux, vrais monocristaux, il ne reste plus à l'apprenti jardinier qu'à examiner les trois méthodes de croissance à sa disposition (Fig.1).

Figure 1 : Domaine d'existence de la phase plastique 02. Les flèches 1, 2, 3, indiquent, pour les méthodes de croissance usuelles, les chemins correspondants dans le diagramme de phases.
Il faut remarquer la valeur très faible (p = 1,5 mbar) de la pression au point triple, liée à l’ordre local dans la phase solide plastique : bien qu'identiques, les molécules 02 n'ont pas toutes le même désordre orientationnel. La structure cristalline (cubique avec 8 molécules par maille) qui en résulte permet alors à certaines molécules de se rapprocher d'avantage, malgré le désordre. La variation d'énergie libre associée abaisse alors la pression d 'équilibre solide-liquide ou solide-gaz.. On retrouve ce fait pour le fluor F2 (p = 2,5 mbar), dont la phase plastique possède la même structure cristalline que l'oxygène. Par contre, les pressions sont nettement plus élevées pour l'azote N2 (p = 125 mbar) et le monoxyde de carbone CO (p = 153 mbar), dont la phase plastique possède une structure cristalline hexagonale compacte plus classique.

  1. La croissance à partir du gaz : trop long (6 mois à 1 an) et aléatoire.

  2. La recristallisation à partir du solide polycristallin. Très utilisée car elle se contente d'un appareillage relativement simple, cette méthode laisse toujours subsister des cristallites parasites. Étant en équilibre thermodynamique avec le gros cristal, ils sont impossibles à éliminer par les voies naturelles (thermodynamiques).
    Le domaine de température utilisé interdit la chirurgie esthétique habituelle dans ce cas : décapage à l'acide, découpe sous une loupe binoculaire ...

  3. La croissance à partir du liquide : résultats antérieurs décevants (de l'ordre de 20 % de réussite). C'est pourtant la seule méthode susceptible d'amélioration si on espère satisfaire les objectifs définis plus haut.

L'optimisation de la géométrie de la cellule de croissance et un contrôle continu de la température et de la pression par micro-ordinateur nous ont permis de domestiquer cette dernière méthode jusqu'à l'obtention d'un résultat reproductible (100 % de résultat sur 35 monocristaux). L'analyse des nombreux cristaux obtenus montre des phénomènes de croissance intéressants, nouveaux pour ce type de composé à bas point de fusion. En particulier, on observe une corrélation entre les paramètres de croissance et l'orientation des axes cristallographiques

La clé du problème réside dans la séparation dans deux zones distinctes de la cellule (Fig. 2) de la phase initiale de nucléation d'un germe monocristallin et de la phase ultérieure de croissance du gros monocristal. On peut ainsi s'affranchir d'un adversaire redoutable: la surfusion. Bienfaisante dans le premier stade, puisqu'elle préside à la naissance du bébé-cristal au sein du liquide, elle se révèle par la suite un ennemi impitoyable, favorisant la nucléation des germes parasites.

Figure 2 : Schéma de principe de la cellule de croissance du monocristal. La géométrie de la base de la cellule (réalisée en téflon) permet la nucléation d'un très petit germe polycristallin à sa base. Après réduction de la surfusion, sa croissance produit alors systématiquement le germe monocritallin désiré à la base du cône supérieur. Après réajustement des paramètres thermiques, la croissance ultérieure d'un gros monocristal ne pose plus de problème, puisqu'on a éliminé la surfusion dés le premier stade. Les parois conductrices (aluminium) permettent un contrôle correct des profils de température à l’intérieur de l’échantillon.


Figure 3: Les fâcheux.

Par l'emploi d'un cryogénérateur à deux étages, nous avons également éliminé deux autres fâcheux notoires : l'azote liquide et l'hélium liquide (Fig. 3). On peut ainsi conserver sans risque, sans coût supplémentaire et sans aucune servitude, les monocristaux nécessaires aux expériences de diffusion neutronique de longue durée (plusieurs mois; Fig. 4). L'appareil ainsi réalisé est d'un emploi simple et entièrement automatisé (Fig. 5)

Figure 4 : Contrôle des échantillons par la méthode de Laüe aux neutrons (faisceau polychromatique).
En haut, un "vrai" monocristal obtenu par la méthode décrite ici : toutes les taches observées sont interprétables. Leur forme régulière est caractéristique d 'un cristal de bonne qualité (mosaïque).
En bas, un "faux" monocristal obtenu pur une méthode plus classique : un gros grain d'orientation voisin du précédant (on retrouve les mêmes taches intenses) est accompagné de toute une série de cristallites parasites (taches plus petites). La déformation des deux grandes taches, en haut de la photo, montre également que la qualité du grain le plus gros n'est pas satisfaisante pour des expériences de diffraction.


Figure 5 : Schéma de principe du cryostat. La tranquillité de l’expérimentateur est assurée par l'alimentation électrique secourue, le contrôle automatique des températures et l’absence de tout fluide cryogénique.

Lorsqu'il aura terminé ses expériences chez P. Pari (Phases n°2, juin 1989), Monsieur Dufroid pourra venir s'occuper tout aussi tranquillement de l'oxygène solide, sans changer ses nouvelles habitudes ni laisser refroidir son café du dimanche après-midi pour cause de remplissage d'hélium liquide.


Référence :

Dunstetter F., Thèse d'Etat, Université Paris-Sud, Orsay (1988)

Contact :

F. Dunstetter, LLB.

Le Comité de rédaction


Phases Magazine N° 6
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