... Editorial

MAI 1989 N° 1

Voir l'intérieur du Soleil !


Figure 1 : Le mouvement permanent observé à la surface du Soleil est dû à la combinaison de millions de modes d'oscillations différents. Chaque mode est caractérisé par son degré 1, qui correspond au nombre de fois où l'onde acoustique se réfléchit à la surface du Soleil.
La figure est une représentation simplifiée d'une image dite "de vitesse", où l'on a retenu que deux modes de degré élevé : les régions se déplaçant vers I'extérieur sont colorées par contraste avec les régions sombres. Une coupe du Soleil visualise la région centrale où se déroulent les réactions nucléaires, ainsi que l'enveloppe convective.

Pendant des siècles, notre "étoile Soleil" nous est apparue sous forme d'un disque brillant, d'abord idéalement parfait, puis, au fur et à mesure du progrès des observations, présentant des taches sombres en même temps que de spectaculaires phénomènes éruptifs. Mais de telles observations ne peuvent nous montrer que la surface de l'astre du jour ...

Or, depuis quelque temps déjà existent des méthodes originales permettant de "voir" l'intérieur du Soleil. Plus exactement, ces méthodes permettent de mesurer un certain nombre de paramètres étroitement liés aux conditions physiques régnant dans les régions les plus internes. Il s'agit principalement, d'une part de l'observation d'ondes sismiques, ce que l'on appelle les "oscillations solaires", et d'autre part de la mesure du flux des neutrinos solaires.

Une sphère de gaz vibrante

Le Soleil est une sphère constituée à 90 % (en nombre d'atomes) d'hydrogène. Connaissant son rayon (700 000 km) et sa température de surface (5800 K), et moyennant l'hypothèse d'une équation d'état du type gaz parfait, il est facile de calculer la structure d'une telle sphère de gaz, en équilibre sous la seule influence de la gravitation. Ce calcul remonte en fait au 19ème siècle, et a montré d'emblée la nécessité de températures centrales très élevées (quinze millions de degrés !).

On peut aller plus loin dans cette direction et s'interroger sur la stabilité de cet équilibre, et donc sur la réponse de notre sphère en chaque point à des petites perturbations. Aujourd'hui, le modèle solaire de référence est bien sûr beaucoup plus sophistiqué qu'une simple sphère de gaz parfait (1,2). A chaque modèle correspond tout un spectre d'ondes; inversement, l'analyse de ces ondes permet de remonter à la structure interne du Soleil, et de comparer les résultats aux prédictions du modèle de référence ou de ses variantes éventuelles. C'est là le fondement de ce que l'on appelle aujourd'hui l'héliosismologie, dont les méthodes, notamment les méthodes d'inversion, sont très proches de la sismologie terrestre classique.


Figure 2 : Schéma du trajet des ondes sonores et donc la pénétration des différents modes. La région nucléaire est atteinte par les modes l<3 ; I'enveloppe convective est sondée par les modes l>6.

On observe à la surface du Soleil des mouvements de l'ordre du km par seconde avec une période d'environ 5 minutes, qui sont interprétés comme la superposition de nombreux modes acoustiques cohérents se réfléchissant à la surface du Soleil (Fig. 1). L'identification précise du degré et de l'ordre de chaque mode permet de remonter à la pénétration de l'onde jusque dans les régions internes (Fig. 2). Environ 2000 modes ont déjà été identifiés ! De cette moisson d'informations, on extrait l'extension de la couche convective externe (environ 190 000 km), la vitesse du son jusqu'à des régions très profondes (20 % du rayon du Soleil), voire des indications sur la vitesse de rotation interne (3). Ces observations confirment certains résultats de la modélisation, notamment le contenu en hélium (27 % en masse à 10 % près), paradoxalement inaccessible à l'observation directe en raison de la trop faible température superficielle du Soleil, mais semblent suggérer en revanche la présence d'un petit cœur convectif non prévu théoriquement.

On souhaiterait donc en savoir plus : l'héliosismologie ne concerne les régions centrales que de façon pour l'instant assez marginale. Pour réellement améliorer nos connaissances, il faut avoir accès à des modes de période beaucoup plus longue (1 à 5 h), et d'amplitude maximale au centre. Pour de multiples raisons, ces modes sont beaucoup plus accessibles depuis l'espace : c'est le but de l'expérience GOLF ("global oscillations at low frequencies"), placée à bord de la sonde SOHO, qui doit être lancée vers 1995 par les soins de l'Agence Spatiale Européenne en collaboration avec la NASA, et à laquelle participe notre Service.

Au cœur du Soleil

Le modèle de référence du Soleil décrit-il bien toutes ses caractéristiques, y compris la génération d'énergie par transformation thermonucléaire d'hydrogène en hélium ? Nous n'en sommes pas encore certains, et ce sont les fugaces neutrinos qui sont responsables de ce doute.

Voilà plus de vingt ans, l'Américain R. Davis installait dans une mine du Dakota du Sud un immense réservoir de trichloréthylène, afin de détecter les neutrinos de basse énergie émis par une réaction nucléaire secondaire au cœur du Soleil. Ces neutrinos transforment chaque jour quelques atomes de chlore en argon-37 radioactif, patiemment comptabilisés dans les détecteurs. Au fil des années, les résultats de cette expérience unique se sont confirmés : le flux de neutrinos détecté est en moyenne trois à quatre fois plus faible que la prédiction théorique du modèle de référence ! Or ces neutrinos proviennent bien des régions les plus centrales du Soleil (moins de 10 % du rayon), et leur taux de production varie extrêmement vite avec la température. On est donc conduit à penser que la température centrale calculée (15,5 x 106 K) pourrait être en fait surestimée de 15 à 20 %. L'origine de cette différence préoccupante est très débattue : faut-il remettre en cause ce que nous savons de la structure du Soleil et, par voie de conséquence, de toutes les étoiles, c'est-à-dire directement ou indirectement toute l'astrophysique, ou bien, comme cela a été suggéré, la solution réside-t-elle dans des propriétés inédites des neutrinos ?

Avant d'espérer conclure, il faut remarquer que le seuil en énergie (0,8 MeV) de détection des neutrinos par l'expérience de Davis est trop élevé pour capturer ceux provenant directement des réactions d'où le Soleil tire son énergie, principalement la réaction p-p. Pour ce faire, il faut utiliser du gallium, qui capture ces neutrinos en donnant du germanium-71 radioactif. Des dizaines de tonnes sont nécessaires (soit plusieurs années de production mondiale normale) dans les expériences en cours de réalisation, au Gran Sasso (expérience en collaboration entre l'Allemagne Fédérale, la France et l'Italie, et à laquelle le DPh/PE est associé), ou à Baksan, dans le Caucase. Les résultats, on s'en doute, sont attendus avec impatience, tant par les physiciens que par les astrophysiciens.

En attendant, et pour faire le point de façon interdisciplinaire sur ce que nous savons -ou ne savons pas- sur l'intérieur du Soleil, plus de deux cents participants doivent assister à Versailles, du 22 au 26 mai, à un Colloque de l'Union Astronomique Internationale, organisé à l'initiative du DPh/PE et de notre Service, "Inside the Sun". Déjà se profile une espèce biologique hybride : l'héliophysicien...


Références :

(1) Bahcall JN., Ulrich R.K., 1988, Rev. Mod. Phys. 60, 297.
(2) Turck-Chièze S., Cahen S., Cassé M., Doom C., 1988, Astrophys. J. 335, 415.
(3) Christensen-Dalsgaard J., Duvall T.L, Jr., Gough D.O, Harvey J.W., Rhodes EJ., Jr., 1985, Nature 315, 378.(1)

Pour en savoir plus :

J.-C. Pecker, Sous l’étoile Soleil, Fayard (1984).
M. Spiro, P.-O. Lagage, La vie des Sciences (C.R. Acad. Sci., Série Générale), 2, 311 (1985).

Contact :

Sylvaine TURCK-CHIEZE, DPhG /SAp.

Le Comité de rédaction


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